Dimensionnement d'une conduite forcée pour une centrale hydroélectrique
Contexte : L'Art de Maîtriser la Pression et le Débit
Une conduite forcéeTuyau de grande section qui achemine l'eau sous pression depuis un barrage ou une prise d'eau en amont jusqu'à la turbine d'une centrale hydroélectrique. est l'artère vitale d'une centrale hydroélectrique. Elle canalise l'eau depuis une retenue en altitude (barrage) jusqu'à la turbine, transformant l'énergie potentielle de l'eau en énergie cinétique, puis en énergie mécanique. Le dimensionnement de cette conduite est un compromis crucial : un diamètre trop petit engendre des pertes de chargePerte d'énergie (et donc de pression) d'un fluide en mouvement, due aux frottements sur les parois de la conduite (pertes linéaires) et aux obstacles (coudes, vannes, etc.). importantes, réduisant la puissance disponible, tandis qu'un diamètre trop grand augmente drastiquement les coûts de construction. Cet exercice vise à trouver le bon équilibre en appliquant les principes de l'hydraulique en charge.
Remarque Pédagogique : Ce problème de dimensionnement est au cœur du métier d'ingénieur hydraulicien. Il illustre parfaitement comment les lois de la physique (ici, l'équation de Bernoulli et les pertes de charge) dictent des choix techniques et économiques concrets avec des impacts majeurs sur la performance et la rentabilité d'un projet industriel.
Objectifs Pédagogiques
- Appliquer le théorème de Bernoulli généralisé pour un écoulement en charge.
- Calculer la vitesse de l'écoulement, le nombre de Reynolds et les pertes de charge linéaires via la formule de Darcy-Weisbach.
- Comprendre l'influence du diamètre, de la longueur et de la rugosité de la conduite.
- Déterminer la chute netteDifférence de hauteur d'eau (chute brute) moins les pertes de charge totales. C'est la hauteur d'énergie réellement disponible pour la turbine. et la puissance hydraulique d'une installation.
- Saisir le compromis technico-économique du dimensionnement.
Données de l'étude
Schéma de l'Installation Hydroélectrique
- Masse volumique de l'eau : \(\rho = 1000 \, \text{kg/m}^3\)
- Accélération de la pesanteur : \(g = 9.81 \, \text{m/s}^2\)
- Viscosité cinématique de l'eau : \(\nu = 10^{-6} \, \text{m}^2/\text{s}\)
- RugositéIrrégularités microscopiques de la surface interne d'une conduite, qui causent des frottements et donc des pertes de charge. Notée ε (epsilon). de l'acier : \(\epsilon = 0.05 \, \text{mm}\)
- On étudie un diamètre intérieur de conduite : \(D = 1.0 \, \text{m}\)
- Rendement de la turbine : \(\eta_{\text{turbine}} = 0.92\)
Questions à traiter
- Calculer la vitesse de l'écoulement \(v\) dans la conduite, puis le nombre de Reynolds \(Re\).
- En utilisant la formule de Colebrook (ou une approximation comme celle de Haaland fournie ci-dessous), calculer le coefficient de perte de chargeAussi appelé facteur de frottement (noté f ou λ). C'est un coefficient sans dimension qui dépend du nombre de Reynolds et de la rugosité relative de la conduite. linéaire \(f\).
- Calculer les pertes de charge linéaires \(J\) dans la conduite.
- Déterminer la chute nette \(H_{\text{nette}}\) disponible à la turbine, puis calculer la puissance mécanique \(P_{\text{m}}\) fournie par la turbine.
Correction : Dimensionnement d'une conduite forcée
Question 1 : Vitesse et Nombre de Reynolds
Principe :
La vitesse est directement liée au débit et à la section de la conduite. Le nombre de Reynolds est un nombre sans dimension qui caractérise le régime d'écoulement (laminaire ou turbulent). Pour les conduites forcées, l'écoulement est quasiment toujours turbulent (\(Re > 4000\)).
Remarque Pédagogique :
Point Clé : Le calcul du nombre de Reynolds est une étape fondamentale. Il nous confirme que nous sommes bien en régime turbulent, ce qui conditionne le choix de la méthode de calcul des pertes de charge. Un écoulement laminaire obéirait à des lois beaucoup plus simples (loi de Poiseuille).
Formule(s) utilisée(s) :
Donnée(s) :
- Débit : \(Q = 2.5 \, \text{m}^3/\text{s}\)
- Diamètre : \(D = 1.0 \, \text{m}\)
- Viscosité cinématique : \(\nu = 10^{-6} \, \text{m}^2/\text{s}\)
Calcul(s) :
Points de vigilance :
Homogénéité des unités : Assurez-vous que toutes les grandeurs sont dans le Système International (mètres, secondes, etc.) avant de commencer le calcul pour obtenir un nombre de Reynolds sans dimension.
Le saviez-vous ?
Question 2 : Coefficient de Perte de Charge Linéaire (f)
Principe :
Le coefficient de perte de charge \(f\) (ou \(\lambda\)) dépend de la rugosité relative de la conduite (\(\epsilon/D\)) et du nombre de Reynolds. Il est généralement déterminé à l'aide du diagramme de Moody. Pour éviter une lecture graphique, on peut utiliser des formules explicites comme celle de Haaland, qui est une excellente approximation de l'équation implicite de Colebrook-White.
Remarque Pédagogique :
Point Clé : Le diagramme de Moody est un outil visuel puissant, mais pour des calculs automatisés ou plus précis, les formules sont préférables. La formule de Haaland offre un excellent compromis entre simplicité (elle est explicite, pas besoin de la résoudre par itérations) et précision par rapport à l'équation de Colebrook, qui est la référence.
Formule(s) utilisée(s) :
Approximation de Haaland (explicite) :
Donnée(s) :
- Rugosité relative : \(\epsilon/D = (0.05 \times 10^{-3} \, \text{m}) / 1.0 \, \text{m} = 0.00005\)
- Nombre de Reynolds : \(Re = 3.18 \times 10^6\)
Calcul(s) :
Points de vigilance :
Conversion de la rugosité : L'erreur classique est d'oublier de convertir la rugosité \(\epsilon\), souvent donnée en millimètres (mm), en mètres (m) pour que la rugosité relative \(\epsilon/D\) soit un nombre sans dimension.
Le saviez-vous ?
Question 3 : Pertes de Charge Linéaires (J)
Principe :
Les pertes de charge linéaires (ou régulières) représentent la perte d'énergie due au frottement du fluide sur toute la longueur de la conduite. On les calcule avec la formule de Darcy-Weisbach, qui est la formule de référence en hydraulique en charge.
Remarque Pédagogique :
Point Clé : Le résultat \(J\) n'est pas une pression en Pascals, mais une hauteur en mètres. Il représente la hauteur de colonne d'eau qui serait nécessaire pour compenser l'énergie perdue par frottement. C'est une notion très visuelle : sur les 120 m de chute brute, on "perd" l'équivalent de 3.52 m de hauteur à cause des frottements.
Formule(s) utilisée(s) :
Donnée(s) :
- Coefficient de perte de charge : \(f \approx 0.0114\)
- Longueur : \(L = 600 \, \text{m}\)
- Diamètre : \(D = 1.0 \, \text{m}\)
- Vitesse : \(v \approx 3.18 \, \text{m/s}\)
- Pesanteur : \(g = 9.81 \, \text{m/s}^2\)
Calcul(s) :
Points de vigilance :
Unités : Les pertes de charge s'expriment en mètres (m). Il s'agit d'une "hauteur" d'énergie perdue, homogène à la chute brute. C'est une erreur courante de ne pas savoir en quelle unité est le résultat.
Le saviez-vous ?
Question 4 : Chute Nette et Puissance Mécanique
Principe :
La chute nette est l'énergie de pression réellement disponible pour la turbine, une fois les pertes déduites de la chute brute. La puissance mécanique est ensuite calculée à partir de cette chute nette, du débit et du rendement de la turbine.
Remarque Pédagogique :
Point Clé : C'est l'aboutissement du dimensionnement. On quantifie la puissance finale, qui est le revenu de la centrale. Le rendement \(\eta_{\text{turbine}}\) est crucial : il représente la capacité de la turbine à convertir l'énergie de l'eau en énergie de rotation, une partie étant inévitablement perdue en chaleur et frottements internes à la machine.
Formule(s) utilisée(s) :
Donnée(s) :
- Chute brute : \(H_{\text{brute}} = 120 \, \text{m}\)
- Pertes de charge : \(J \approx 3.52 \, \text{m}\)
- Débit : \(Q = 2.5 \, \text{m}^3/\text{s}\)
- Masse volumique : \(\rho = 1000 \, \text{kg/m}^3\)
- Rendement turbine : \(\eta_{\text{turbine}} = 0.92\)
Calcul(s) :
Points de vigilance :
Puissances en cascade : Ne pas confondre la puissance hydraulique brute (\(P = \rho g Q H_{\text{brute}}\)), la puissance hydraulique nette (\(P = \rho g Q H_{\text{nette}}\)), la puissance mécanique sur l'arbre de la turbine (celle calculée ici) et la puissance électrique finale (qui inclut le rendement de l'alternateur).
Le saviez-vous ?
Simulation Interactive du Dimensionnement
Faites varier le diamètre de la conduite et le débit. Observez l'impact direct sur les pertes de charge et la puissance finale. Quel est le meilleur compromis ?
Paramètres du Projet
Répartition de la Hauteur d'Énergie
Pour Aller Plus Loin : Les Pertes de Charge Singulières
Les obstacles sur le chemin : Notre calcul n'a pris en compte que les pertes "linéaires" (dues au frottement sur la longueur). En réalité, chaque accident de parcours (entrée de la conduite, coudes, vannes, élargissements, etc.) crée des pertes de charge "singulières". La perte de charge totale est la somme des pertes linéaires et singulières (\(J_{\text{total}} = J_{\text{linéaires}} + \sum J_{\text{singulières}}\)). Dans un projet réel, ces pertes peuvent représenter une part non négligeable du total et doivent être minutieusement calculées pour un dimensionnement précis.
Le Saviez-Vous ?
La conduite forcée de la centrale de Bieudron, en Suisse, détient plusieurs records du monde. Elle supporte une chute de 1883 mètres (la pression en bas atteint 190 bars, soit 190 fois la pression atmosphérique !) et sa puissance de 1269 MW est acheminée par trois turbines Pelton, les plus puissantes de leur catégorie au monde.
Foire Aux Questions (FAQ)
Pourquoi utiliser une formule compliquée comme Haaland/Colebrook ?
Pour les écoulements turbulents en conduites rugueuses, le coefficient de frottement \(f\) n'est pas constant. Il dépend de la vitesse (via Re) et de la rugosité. Les formules de Colebrook ou ses approximations (Haaland, Swamee-Jain) sont indispensables pour modéliser précisément ce comportement complexe et obtenir un calcul de pertes de charge fiable.
Quel est l'impact économique du diamètre ?
Le coût d'une conduite est grossièrement proportionnel à son poids, donc à son diamètre et à son épaisseur. L'épaisseur, elle, doit augmenter avec la pression (donc la chute) et le diamètre. Augmenter le diamètre de 10% peut facilement augmenter le coût de plus de 20-30%, sans compter les travaux de génie civil plus importants. C'est pourquoi on cherche le diamètre le plus petit possible qui respecte un critère de pertes de charge acceptables.
Quiz Final : Testez vos connaissances
1. Si on double le débit (Q) dans une conduite (en gardant D constant), les pertes de charge linéaires (J) sont approximativement :
2. Pour réduire les pertes de charge dans une conduite existante, la solution la plus efficace est :
Glossaire
- Conduite Forcée
- Canalisation qui amène l'eau sous pression d'un point haut à un point bas, typiquement pour alimenter une turbine.
- Pertes de Charge (J)
- Énergie dissipée par le frottement du fluide contre les parois (pertes linéaires) et par les singularités du circuit (coudes, vannes...). Exprimée en mètres de colonne de fluide.
- Chute Brute / Nette
- La chute brute est la différence d'altitude totale. La chute nette est la chute brute diminuée des pertes de charge ; c'est l'énergie réellement disponible.
- Rugosité (ε)
- Hauteur moyenne des aspérités de la surface interne d'une conduite, qui influence le frottement.
- Nombre de Reynolds (Re)
- Nombre sans dimension qui compare les forces d'inertie aux forces visqueuses. Il permet de déterminer le régime d'écoulement (laminaire, transitoire ou turbulent).
- Coefficient de Perte de Charge (f)
- Aussi appelé facteur de frottement. Coefficient utilisé dans la formule de Darcy-Weisbach pour quantifier les pertes de charge linéaires.
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